Notre processus de création débute d’ordinaire par une lecture publique du spectacle à venir, où nous invitons nos futurs spectateurs à entendre le texte une première fois, sans mise en scène, presque à l’état brut.
Il s’agit pour nous de directement confronter la matière au public alors même que nous sommes fragiles et débordant de questions à résoudre. Cette nécessaire mise en danger de notre part nous fait avancer.
Parfois certaines personnes non initiées à la création d’un spectacle croient que tout est écrit et qu’il suffit aux artistes d’exécuter.
Ainsi, lors de la première lecture de Rester Sage, un monsieur m’a posé la question « Comment allez-vous faire pour monter cette scène-ci ? ». La question était pertinente et quand nous avons répondu »Très bonne question Monsieur; nous n’en savons encore rien du tout. », il était étonné, il n’en revenait pas.
Pour la première fois, plusieurs personnes dans la salle ont pris conscience du travail de recherche dramaturgique et scénique que demande la création d’un spectacle, qu’il ne suffit pas d’exécuter, que nous n’avons pas toutes les réponses d’emblée, et surtout qu’elles sont multiples et procèdent de choix.
Que d’abord il faut construire.
Comme un artisan.
Le public prend part à la construction, en nous renvoyant l’image, le son, les émotions de ce que nous jouons.
À quel comédien n’est-il pas arrivé de découvrir le véritable sens de certaines scènes le soir de la première quand le public, ce partenaire essentiel, est enfin là ?
C’est le public qui est à la bonne distance pour dire si la planche qu’on est en train de clouer est bien horizontale ou un peu penchée. Bien sûr nous faisons en sorte que les planches soient le plus justement clouées, et bien sûr il ne s’agit surtout pas de »vouloir plaire à tout le monde » (c’est toujours louche), car untel verra la planche horizontale quand elle sera penchée pour l’autre.
Il n’en reste pas moins que le public est détenteur d’un savoir, d’une oreille, d’un œil, que nous aurions tort d’ignorer.